Maquis de l'Ain et du Haut-Jura

L'ARMEE SECRETE SUPPORT DE L'ACTION DES MAQUISARDS

La réussite du coup d'Artemare sur le camp de jeunesse n°43


fait basculer les maquisards du camp de réfractaires dans celui de rebelles...


Cette année 1943 restera d'abord, pour les maquis de l'Ain, celle de toutes les audaces. Elle annonce et prépare, au dernier trimestre surtout, les premières semaines glaciales de 1944 qui allaient être si souvent celles des grands affrontements meurtriers.
L'audace, - un cri de lumière qui hurlait déjà si fort dans la bouche de DANTON -, est une qualité cardinale qui inspire et motive tout homme engagé dans le combat. Ceux qui sont passés par les Ecoles de guerre le savent bien : sans audace le soldat, - avec ou sans uniforme -, risque fort de s'embourber vite dans la résignation.

Plan du camp d'Artemare
Plan du camp d'Artemare

Le coup de main d'Artemare, en septembre 1943, s'inspira de cette vertu. En même temps qu'il retentit lui aussi comme un "coup de tonnerre", il se voulait exemplaire, mieux "Dans le Département apparemment mis en sommeil par l'occupant et ses alliés de Vichy, écrit Pierre MARCAULT, le chef qui s'investit totalement dans cette opération, ce coup de main fut reçu comme la démonstration évidente de l'existence d'un puissant mouvement d'opposition armée".
Artemare n'offrit nullement l'apparence d'un acte isolé. Tout allait être méticuleusement, soigneusement préparé. Rien de l'opération ne fut laissé au hasard. Ainsi en décidèrent en conscience les responsables,Henri PETIT (ROMANS), ses adjoints Henri GIROUSSE (CHABOT) et Noël PERROTOT (MONTRÉAL) ; et aussi, bien sûr, MARCAULT et Maurice MORRIER (PLUTARQUE), à qui revient d'avoir lancé l'idée de l'expédition.

De quoi s'agissait-il ? Vers la fin de l'été 1943, à une époque où grossissent rapidement les ef­fectifs de tous ceux qui refusent Vichy et sa honteuse collaboration, les maquis sont inquiets. Non qu'ils mettent une seconde en doute la force et la volonté de leur engagement, mais ils sont bien obligés, - eux les soldats de l'ombre, donc clandestins -,d'apporter une solution satisfaisante à la situation matérielle de leurs camps. Il n'est pas d'armée, fut-elle clandestine, sans intendance. Les armes et le gîte, c'est primordial certes, mais il surgit des carences qui ne peuvent se prolonger : celle, notamment, essentielle, qui touche aux équipements vestimentaires.
L'hiver est proche en cette fin 1943... L'hiver, le froid et toutes les intempéries probables d'une mauvaise saison (et nul ne peut alors prévoir à quel point elle sera terrible), seront un obstacle auquel il faut faire face le plus vite possible. Ce ne sont pas les maigres baluchons que portent les "petits", arrivés dans les camps le plus souvent avec des tenues d'été, qui déversent sur ceux qui ont choisi d'être maquisards en France les vêtements chauds et les chaussures dont ils auront bientôt impérativement besoin...

Alors quoi ? Eh bien, le maquis de l'Ain n'hésitera pas une seconde. Nul ne donnera tort à ses chefs : pour habiller, réchauffer les hommes, dont certains "dépenaillés, loqueteux, traînent quelques misérables hardes qu'ils nettoient et reprisent de leur mieux" (cf. voix du maquis 2ème trimestre 1983), on décide un raid sur l'entrepôt des Chantiers de Jeunesse, implanté à Artemare, où sont stockés des effets neufs et de solides chaussures. Un vrai trésor de guerre, en quelque sorte !

UN BUTIN SÉDUISANT 6 000 PAIRES DE CHAUSSURES!

PLUTARQUE a obtenu de son ami Paul DEBAT (JACQUES) un inventaire des stocks, une évaluation du personnel de protection et des systèmes de sécurité. Sage précaution...
Quand les acteurs du "coup" d'Artemare remuent avec nostalgie leurs souvenirs, des figures surgissent, hautes et pures, marquées souvent d'une certaine noblesse. La mémoire de MARCAULT, qui exerça parmi d'autres missions, celle de commandant des trois camps installés sur le plateau d'Hotonnes, a conservé intactes, avec émotion, les silhouettes de nombreux compagnons, dont celles de ces deux maquisards soviétiques, NICOLAS et YVAN qui, au terme de mille périgrinations, vinrent se joindre aux maquisards de l'Ain qu'ils épaulèrent avec courage dans leur combat. Et notamment à l'occasion du coup de force d'Artemare.
Artemare ? «Aucun de nous, reconnaît MARCAULT, n'y avait jamais mis les pieds ! » Il fallut donc sérieusement engager des actions de reconnaissance. L'opération envisagée devait "redonner confiance et enthousiasme... En comblant cette déficience épouvantable du manque de chaussures, le moral pourrait se rétablir à un excellent niveau !".

Tout ne fut pas facile. Six points sont à neutraliser sur un terrain inconnu de deux hectares, peuplé de nombreux baraquements tous occupés... On apprendra tout de même, - et c'est bon pour le moral ! -, que le magasin général d'habillement d'Artemare fournit la région. Ce n'est donc pas "un petit dépôt secondaire comme prévu". On parle de 6 000 paires de chaussures, et l'équivalent en lingerie, vêtements et autres équipements.

Pourtant on renoncera une première fois à lancer le raid. Un constat commun : il faut mieux préparer le coup, et non pas l'entreprendre avec des moyens trop faibles, et donc risquer de ne pouvoir "piquer" que quelques paires de chaussures sur un stock de 6 000... car on ne pourra pas refaire le coup une deuxième fois au même endroit.
Une logistique plus affinée va donc se mettre en marche.
MONTRÉAL sera chargé de recruter véhicules et chauffeurs. Quant à PLUTARQUE, il mettra en dérangement le central téléphonique des PTT afin que toute communication soit coupée entre Artemare et Virieu. MARCAULT se consacrera au "déménagement" proprement dit. Les édifices jouxtant le camp, l'emplacement de la gendarmerie, sont repérés l'un après l'autre.
Trouver des véhicules lourds... Jean MIGUET va s'en charger. Jusque là, le maquis ne dispose que d'un camion de 2,5 tonnes (conducteur Maurice DUCLOT) et la "maquisette", au volant de laquelle opèrent soit Octave TARDY soit René JOMAIN (plus connu sous le nom de I"`ARBALÈTE!".
Passons sur tous les préparatifs que suppose un raid que l'on veut bien, cette fois, pleinement réussir... Des pages entières, où s'entremêlent des points d'attention dignes d'un grand état-major et des anecdotes savoureuses, où se côtoient les prévisions chronologiques et les réactions imprévues des hommes impatients et fin prêts pour l'assaut, ont été magistralement écrites par Pierre MARCAULT. Nous ne pouvons malheureusement, dans le cadre d'un simple article, reproduire ce témoignage de chef et d'historien scrupuleux.

Retenons donc, en nous efforcant de ne rien trahir en trop abrégeant, quelques unes des dispositions prises tout au long de ces jours fiévreux de septembre qui ont précédé le coup de main. Roger TANTON s'occupera des sentinelles (car, évidemment, le camp est gardé...), Roger GRELOUNAUD de la Gendarmerie, Julien ROCHE des chefs de camp, et son frère Marius de la neutralisation des gardes à l'intérieur du magasin.
MARCAULT coordonnant le tout, responsable de l'opération : le «chef d'orchestre» !

On notera au passage que rien n'a échappé aux "cerveaux" du raid d'Artemare... Un agent de liaison n'a-t-il pas livré aux opérateurs un produit indispensable, à savoir un bon anesthésique !. A la fois du chloroforme et du chlorure d'éthyle, qui endormiront, si besoin est les opposants...

"NE CRAIGNEZ RIEN... NOUS SOMMES LES GARS DU MAQUIS"

Vendredi 10 septembre, minuit : "par équipes constituées, la file indienne, les hommes quittent Morez et se fondent dans la nature" note MARCAULT.

Un peu plus tard, à l'heure prévue (2 h 30), le camp des Chantiers de Jeunesse ne sera qu'à quelques centaines de mètres des maquisards répartis en groupes, dont chacun a son rôle à jouer.
Tout à côté d'ici, les gendarmes sont couchés, à l'exception de l'homme de veille. Le brigadier, réveillé en sursaut, se frotte les yeux et pousse un soupir de soulagement : `j'ai eu peur que ce soit les Chleus ou les Italiens...". Ils seront tout de même ficelés, attachés sur leur lit ou couchés sur le plancher. Le sommeil sera facilité par quelques gouttes de chlorure d'éthyle, comme prévu...

Mais comment se déroule l'opération à la maison des chefs et au magasin ? Fort bien, merci... Une vraie ambiance de fête ! La description qu'en fait MARCAULT mérite la citation : "L'endroit ressemble à une fourmilière. Tout le monde, sans exception, gens du Poste de commandement, chauffeurs, tous les gars disponibles s'en donnent à coeur joie. Du 1er étage, les sacs et les chaussures volent pour atterrir aux pieds des équipes de ramassage qui les entassent dans des camions. Des piles de blousons, de parkas, du matériel de campement, etc. : c'est l'embouteillage des heures de pointe !. L'agitation est indescriptible. Le Patron mène le bal, charriant les colis, transpirant à grosses gouttes, plaisantant et riant à gorge déployée. Marius ROCHE est hilare. Il m'accueille d'une grande claque dans le dos et se rue à nouveau au fond du magasin, pour rejoindre les autres".

Quelques secondes encore. Pour calmer une turbulence qui se propage dans une certaine baraque-dortoir, un gars de surveillance, Christian FINALY, lance d'une voix apaisante : "nous sommes des gars du maquis, vous n'avez rien à craindre !". De son côté, Julien ROCHE rassure également les occupants de la baraque des chefs des chantiers en répétant : "vous n'avez rien à craindre !".

Il est 3 h 15. L'opération a duré 45 minutes, comme prévu. Pas de coup de feu. Mais il y eut lutte avec le gendarme (armé, lui...) qui fut maîtrisé de force.
Pétrifié par la peur, un garde des chantiers, acculé au mur, répète, le regard hagard : "ne me tuez pas !". Il paraît si inoffensif que personne ne songera à lui arracher des mains la hache qu'il tient, sa seule arme...

Le chargement est terminé. Les véhicules sont "pleins à craquer", commente "l'ARBALÈTE", heureux. Il reçoit l'ordre à son tour, après que le chef eut vérifié que personne ne manquait -, de mettre en marche son camion, qui boucle le convoi. "Derrière nous, commente MARCAULT, la nuit se referme sur le camp d'Artemare, aussi silencieux qu'à notre arrivée. Seul continue à briller le magasin de toutes ses lumières, comme une salle de bal abandonnée".

UNE NUIT DOUBLEMENT FÉCONDE

Cinquante années plus tard, le jugement porté par l'Histoire sur le "coup" d'Artemare rejoint celui, tout à fait limpide, entaché d'aucune ambiguité, qui fut unanimement émis au lendemain des faits.
A savoir, s'il est vrai que l'événement ne revendique pas d'avoir été un fait d'arme éblouissant, qu'il a néanmoins permis au maquis de retirer un bénéfice certain sur deux points principaux.

D'abord, très concrètement, les maquisards, enfin correctement vêtus, vont pouvoir résister au dur climat hivernal qui les attend. Tous les hommes des camps ralliés aux maquis ont pu être équipés, et même il y aura des réserves d'équipement... (A ce sujet, il faut préciser que la charge utile totale des cinq véhicules était de 11 000 Kgs transportables. Si l'on tient compte du poids approximatif des hommes - environ 3 000 Kgs -, on peut estimer que le "fret" disponible dont on fit bon usage fut de huit tonnes...).

Deuxième point, sur un plan psychologique celui-là. On va enfin admettre que ces maquisards tant décriés par Vichy, présentés à la population comme des réfractaires "sans foi ni loi", constituent bien une force tout à fait structurée et organisée... "L'opération d'Artemare devenait donc, non pas une marque d'hostilité envers les autorités, concluera MARCAULT, mais un véritable acte de guerre qui faisait basculer les maquisards du camp de réfractaires à celui de rebelles".
Et cela était d'une grande importance. La reconnaissance des "Soldats de l'Ombre" est en marche en cet automne, tout frémissant de ferveur patriotique, qui ne demande qu'à exploser au grand jour. La nuit d'Artemare demeurera une nuit féconde. Elle sera le prélude, deux mois après seulement, au jour de grande clarté d'Oyonnax.

Composition du commando


La voix du Maquis

Lexique des sigles
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