Maquis de l'Ain et du Haut-Jura

L'ARMEE SECRETE SUPPORT DE L'ACTION DES MAQUISARDS

L'expédition sur l'intendance militaire de Bourg : 28 septembre 1943


Pour nourrir les maquisards, on organise et réussit le coup de force sur le dépôt de vivres de l'intendance militaire de Bourg


Le coup de main d'Artemare avait sans aucun doute fortifié la confiance des maquisards de l'Ain en eux-mêmes. La "razzia" opérée avec succès sur ce dépôt bourré de vêtements et de chaussures destinés aux "Chantiers de Jeunesse" d'Artemare aiguisa fort justement les appétits... au sens figuré comme au sens propre. En ce début d'automne 1943, les chefs des maquis avaient l'impérieux devoir de prévoir le ravitaillement des camps durant l'hiver qui s'annonçait, et dont nul ne pouvait alors supposer qu'il serait d'une telle rudesse.
Nourrir les maquisards, de plus en plus nombreux... Nourrir ces clandestins de l'honneur que les Allemands combattaient, et auxquels Vichy - est-il besoin de le préciser - n'attribuait évidemment aucun titre de ravitaillement !

Henri GIROUSSE (CHABOT)
Henri GIROUSSE (CHABOT)

Fin septembre donc, CHABOT (Henri GIROUSSE) se voit confier par le capitaine ROMANS (Henri PETIT) une nouvelle et délicate mission: exécuter une "descente" fructueuse sur le dépôt du service de l'intendance militaire, à Bourg. Des vivres de toutes sortes y sont entassés. Il faut s'en saisir. Ceux que l'occupant a exclus de la communauté nationale comme de dangereux hors-la-loi affirmeront à nouveau leur identité de bons Français libres, de jeunes volontaires engagés dans la lutte pour la libération de leur pays. Et vraisemblablement, dans sa grande majorité, la population comprendra que ces jeunes-là doivent assurer les moyens de leur subsistance et approuvera leur action.

NE PAS OUBLIER LA BARRE À MINE NI LA PINCE MONSEIGNEUR !

Le dépôt de l'intendance est situé au "Clos Tardy", sur l'emplacement actuel du Lycée Carriat, rue de Crouy. Deux gérants d'une succursale du "Casino", Jean RITOUX et son ami ROBERT, - dit "Robert CASINO" -, vont permettre à CHABOT d'entrer en relation avec l'un des gardiens du dépôt de l'Intendance, lequel lui fera visiter les lieux, durant deux heures, à la tombée de la nuit. Le plan est simple si l'accès, lui, n'est pas facile (le bâtiment se trouvant à l'intérieur d'une cour entourée de murs élevés avec un portail d'entrée) : il s'agit de repérer les denrées diverses, les porter jusqu'aux quais, puis les charger dans les véhicules du maquis. Et pour cela, bien sûr, neutraliser au préalable les gardiens...
Date et heure fixées pour l'opération : le 28 septembre, peu avant minuit. En fait, la panne d'une voiture entraînera un retard d'une heure sur l'horaire prévu, sur le lieu de rassemblement des quatre camions et de deux voitures légères, c'est-à-dire à trois kilomètres de Jasseron, sur la route de Bourg.

Pierre MARCAULT, qui participe à l'opération, estime à environ 36 hommes, l'effectif total : 4 hommes pour la neutralisation des gardes, 8 hommes par camion pour le chargement. Ils viennent des camps de Morez, les Combettes et Cize et peut-être d'autres encore.
Là encore, comme pour Artemare, rien ne sera laissé au hasard. Tout sera minutieusement préparé dans l'optique de l'objectif : s'approprier un maximum de vivres en un minimum de temps. Et surtout, charger les marchandises en silence...

La tâche du petit commando de quatre hommes que dirige MARCAULT est essentielle : une demi-heure avant l'arrivée des camions, il lui faudra neutraliser les gardiens, fracturer les portes des magasins, assurer surveillance et protection pendant l'opération. Les hommes seront armés, bien entendu, mais aussi munis de grandes pinces monseigneur et d'une barre à mine. C'est Jean MIGUET qui déposera les hommes à proximité de la porte d'entrée de l'intendance, où attendent CHABOT et un inconnu.

"OÙ SE TROUVE DONC LE CHOCOLAT ?..."

Comment va se conduire l'assaut ? Laissons témoigner Pierre MARCAULT :

«nous pénétrons à l'intérieur de la cour et nous nous dirigeons vers le poste de garde où nous faisons irruption, l'arme au poing.. Je sais que nous avons des sympathies parmi les gardiens, mais j'ignore qui... L'un d'eux, un doigt sur les lèvres, montre le couloir qui donne sur la salle de garde et nous indique une porte... C'est celle du responsable. Je rejoins CHABOT qui se dirige vers cette porte, au fond du couloir... Nous nous plaçons de chaque côté de la porte, prêts à intervenir... Doucement je tourne la poignée et presse lentement l'huis... je rentre dans la chambre et je me plaque contre le mur en m'accroupisssant...".

C'est l'instant où l'on retient sa respiration... Or, c'est précisément un souffle venu des ténèbres qui intrigue fort justement les "assaillants". MARCAULT finit par trouver l'interrupteur. Il allume : là, tout près de lui, un homme transpire, hagard, assis sur son lit. C'est le responsable.
- "Ne bougez pas", lui lance CHABOT.
Il n'en a nullement l'intention, tétanisé par la peur !
L'homme est rapidement baillonné et ligoté à son lit.

Dès lors, il faudra faire vite. Les outils attaquent les portes qui ne résistent pas, y compris la porte d'entrée. La voiture du "Patron", qui attend ce signal, s'engouffre dans la cour, suivie des camions qui foncent vers les quais des magasins.
Tout se passe alors dans le grand silence, selon les instructions. Les denrées sont chargées le plus vite possible.
Certains maquisards, que tant de privations ont atteints, ne résistent pas à croquer sur place quelques biscuits et barres de chocolat. Pour l'un d'entre eux, l'envie confine à la hantise : "Bon Dieu, questionne-t-il en braquant sa lampe électrique, où se trouve donc le chocolat ? Il me faut du chocolat!"
- "Plus tard, lui répond son chef, tu auras ton chocolat plus tard !..." »



SUR LES CHARRETTES DES PAYSANS AMIS DE LA MONTAGNE...

L'opération va s'achever. Les responsables vérifient que l'on n'a pas "oublié" un homme sur place. Les convois, lourdement chargés, sortent de l'Intendance et reprennent la route en convoi. CHABOT estime à une dizaine de tonnes le poids du butin. Rarissime butin ! On repart avec des conserves (sardines, thon en boîtes de 3 kgs, ou fameux "singe"), du sucre, du café, du chocolat, des légumes secs (riz, haricots, lentilles) du pain de guerre (biscuits conditionnés en boîtes métalliques) etc.

Retour dans les camps qui ont reçu l'ordre de stocker une partie de la marchandise comme vivres de réserve, "à ne consommer qu'en cas de coup dur".
Mais tout de même, les maquisards sont autorisés par leurs chefs, au retour, à goûter au butin... Il faut bien calmer leur légitime envie ! Quelques sardines, du chocolat, du café : un vrai festin. Un seul homme, à l'insu des autres, n'a pu résister à l'envie de manger "un peu" de thon à l'huile... Un peu ? C'est presque toute la boîte de 3 kgs, ouverte en douce, qu'il a engloutie ! Conséquence : le malheureux va être gravement malade plusieurs jours... et purgé pour longtemps !

Opération couronnée de succès. La dernière partie du trajet de retour (les routes n'étant pas toutes accessibles aux camions) se fera avec le concours précieux des amis paysans de la montagne qui achemineront les denrées sur des charrettes tirées par des boeufs, et aussi à dos de mulets.
Par la suite, on apprit que les Allemands, lors des attaques de février 1944, avaient récupéré dans un camp quelques vivres, et remis une caisse de boîtes de sardines à une famille française qui les avait renseignés. Ce fut le salaire de la trahison...

La voix du Maquis

Lexique des sigles
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