Maquis de l'Ain et du Haut-Jura

LE CAS EXEMPLAIRE DE L'ORGANISATION DES MAQUIS DE L'AIN

Carnet de route de Charles FAIVRE



Ce soir là, venus de la montagne de l'Avocat où nous séjournons depuis notre départ de notre bonne ville de Bourg-en-Bresse, Julien, Marius ROCHE, les jumeaux et moi sommes conduits par Coco JUHEM à une réunion des représentants locaux de l'Armée secrète. Après une longue marche, nous arrivons à la ferme de Faysse. Le but de la réunion est de constituer un groupe qui, sous l'impulsion du chef départemental, formera une première structure de ce qui sera le maquis de l'Ain.

Charles FAIVRE
Charles FAIVRE

Volontaires tous trois avec ce vieux Hubert MERMET, dit Bébert, nous reprenons le chemin. Tandis que la nuit se dissipe, nous quittons la route pour emprunter un itinéraire qui nous mène à un bois minuscule. A la sortie du bois, brusquement un premier rayon de soleil éclaire un immense pré en pente tout givré de rosée blanche. Tout au fond, il v a un toit, celui de la ferme des Gorges de Montgriffon, avec sa grange à foin, ses fenêtres donnant sur un petit sentier où une source d'eau claire coule sans interruption dans un chaudron de cuivre. Au bout du sentier à travers les feuillages, on aperçoit l'église et le cimetière des Peyzières. Nous sommes à l'aube du 10 juin 1943. Peu avant midi, se présente un homme trapu, au regard direct: MOULIN, chef des maquis de l'Ain. Bien vite, à son retour d'un repas chez les CHAVANT, Julien ROCHE, sur sa demande, lui établira une carte d'identité. Dès ce moment-là, il sera le capitaine ROMANS.

L'un des premiers arrivés aux Gorges est moins jeune et inspire beaucoup de méfiance au point que l'accès de ses valises lui est interdit. A midi, après le rituel et unique plat de carottes, l'intéressé demande avec urbanité à ouvrir au moins une valise. Il revient aussitôt avec une petite boîte. Je revois encore la tête de Marcel GRUMOT, qui bourre sa pipe d'herbes sèches, lorsqu'il découvre le contenu de la boîte: des cigares. Dès la première bouffée, le suspect est définitivement intégré au maquis de lAin. Il y fera une belle carrière: c'est le lieutenant Jean VAUDAN (VERDURAZ).

Les visites sont rares : Marius CHAVANT, bien sûr son fils Jean, sa fille Andrée future madame Jean MONNIER, Eugène DÉON le cantonnier; aussi RUFFIER dont le père possède un moulin à Saint-Jean-le-Vieux. L'effectif se complète: René GUILLEMOT. Raymond et Lucien COMTET, Charles COLI, BOB, BÉBÉ, CHAUVIN, Louis MAILLARD. Pierre MARCAULT, instructeur des T.S.I. de Lyon, nous apprend à monter et démonter une Sten les yeux bandés. Cette première mitraillette nous a été procurée par Julien GODARD de Bourg, il n'y manque que les cartouches. Nous quittons les Gorges pour Terment le samedi 10 juillet 1943. Romans nous y attend. Il exulte : ce matin-là, les Alliés ont débarqué en Sicile.

Un 14 Juillet à Terment, c'est une fête. Il y a du soleil. Dans le pré, un repas somptueux procuré par Marcel DÉMIA nous est présenté. Il y a même des discours. Abusant de son privilège de l'âge, VERDURAZ m'a chargé de celui de la réception des autorités: ROMANS en uniforme, DUNOIR et CHABERT. Tous nos amis sont là. Le 15 juillet, ROMANS a pris une décision capitale. A partir de notre effectif, des équipes seront désignées pour regrouper les réfractaires réfugiés dans l'Ain. Mais ce jour-là, Joannès TARPIN est arrêté par l'occupant. Nous regagnons les Gorges, sauf VERDURAZ qui campe dans les grottes de la Fouge avec un petit groupe.

L'un des premiers à quitter la ferme est BOBENREITH, désigné agent de liaison. « BOB » est Alsacien. Dans un livre paru après la guerre, un officier de l'Abwehr affirme l'avoir enrôlé dans les services d'espionnage allemands, peut-être à titre de « malgré-nous ». BOB est viscéralement Français. Rien ne prouve qu'il nous ait trahis. Les Allemands vont bientôt le récupérer et il le paiera de sa vie.

Un soir à la fin de juillet, dans un véhicule conduit par Jean MIGUET, nous gagnons après une halte à l'hôtel HUMBERT à Brénod, sous un violent orage, ROMANS, MARCAULT, Julien, Marius et moi, la combe de la Manche où nous attendent Robert DUBUISSON et Henri ADHEMAR (J3). Le lendemain, nous prenons contact avec 43 réfractaires au Gros Turc sur le Retord. Ce sont eux qui vont former l'ossature des camps des plans d'Hotonnes en août sous l'unique autorité de Pierre MARCAULT. Ce sont les effectifs de ces camps et ceux du camp VERDURAZ installé depuis septembre à En Bassan qui, avec leur chef du groupement sud, Henri GIROUSSE (CHABOT), vont défiler le 11 novembre 1943, jour de la Marseillaise historique d'Oyonnax.

Nous étions si peu nombreux aux gorges de Montgriffon ! Parmi nous, Julien ROCHE, Marcel GRUMOT, BOBENREITH, le fromager Louis PROST et Louis JUHEM (COCO). Ces premiers volontaires appartenant au groupement sud vont trouver la mort bien avant le débarquement des Alliés en France, la liberté retrouvée qu'ils ne connaîtront jamais. J'ai toujours gardé en mémoire leur visage ainsi que celui des camarades rencontrés ailleurs, tous tombés face aux pelotons d'exécution ou dans des combats inégaux lors de l'attaque allemande dans la neige de février 1944, contre le maquis de l'Ain alors sous le commandement direct d'Henri GIROUSSE (CHABOT). Ceux qui les ont connus ne les ont jamais oubliés.

Charles FAIVRE

Lexique des sigles
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